dimanche 28 octobre 2012

Le pêcheur de Clifford D Simak



Le Pêcheur (Time is the Simplest Thing/The fisher man, 1961) - J'ai lu N°609, traduction club du livre d'anticipation 1965.

Quatrième de couverture :
Finalement les fusées étaient trop lentes. Mieux valait confier l'exploration spatiale à des hommes aux pouvoirs télékinésiques prononcés. Leurs facultés psi leur permettaient, sans se déplacer corporellement, de projeter leur esprit jusqu'aux étoiles. Leur centre, surnommé l'Hameçon, commercialisait ensuite les idées et les techniques que les explorateurs avaient rapportées des planètes lointaines.
Lorsque Shepherd Blaine ramène une entité extra-terrestre qui a pénétré son esprit, il sait que, dans un tel cas, l'Hameçon ne prend pas de risque : on supprime l'explorateur qui n'est plus totalement humain. Il lui faut fuir mais, hors de l'Hameçon, les hommes doués de facultés psi sont massacrés par la foule qui a peur d'eux.
Shepherd Blaine est donc perdu. Toutefois Blaine n'est plus seul désormais, une entité aux pouvoirs inconnus l'habite...

Après Nébal, qui cerne bien les ambiances dégagées par l'auteur, la chronique ne repousse pas. Qu'importe ! Prenons notre courage à deux mains pour commenter ce roman de Clifford D. Simak. Je l'avais acheté à la fin du collège, attiré par la couverture de Michael Whelan, très efficace. Celle -ci n'avait pourtant rien à voir avec le contenu du livre (un couple avec des armes dans un environnement glacial) .

Mes souvenirs s'arrêtaient au "pitch" de base, l'histoire rythmée d'un fugitif  face à ses employeurs. Mais j'étais bien loin de me rappeler la profondeur de l’œuvre, ce qui est bien dommage.

L'éventuel lecteur de la chronique notera que je dévoile ici un certain nombre d'éléments significatifs. S'il n'a pas encore lu le livre et compte le faire, il est prévenu.

A noter que le rythme, l'enchainement des situations m'apparaît parfois un peu chaotique : comme si certaines coupes/ ou une traduction approximative avaient été réalisées. Mais peut-être cela vient-il du roman d'origine.

*****

Le livre part d'une situation de départ, le coup d'arrêt de l'exploration spatiale directe de l'homme en raison de radiations de la ceinture de Van Allen que la technologie ne peut arrêter (le traqueur vous expliquera ce qu'est cette ceinture : ici). Voici venir la fin des rêves de découverte de l'humanité ?
Non car celle-ci a réorienté son développement sur les facultés psi (appelées PK) : les esprits de télépathes, comme Blaine Sheperd le héros, accompagnent, pendant une durée limitée, les sondes envoyées vers d'autres planètes. Celles-ci enregistrent tout et ramènent échantillons, découvertes, etc.... examinés par l'Hameçon, organisation située au nord du Mexique et chargée de gérer les voyages. Ses scientifiques analysent les découvertes et les mettent ensuite en vente dans des comptoirs répartis sur la planète, créant de fait un monopôle et une force de déstabilisation des équilibres traditionnels de la société (cf la discussion entre Blaine, le héros et Dalton, un homme d'affaires à propos du développement des "arbres à viande").

Ainsi l'Hameçon est un objet de haine dans les "provinces", ce que n'a pas conscience au départ, semble-t-il, le héros.

Simak fait intervenir ici les pouvoirs de l'esprit et montre l'évolution sociétale qu'a entrainé leur apparition sous l'égide de l'Hameçon : la PK, ou parakinésie, a été développée et structurée grâce à la science de cette organisation dans un objet au final purement commercial, sans se poser la question de l'intégration des PK potentiels dans la société et leurs rapports avec celle-ci. L'Hameçon en sélectionne certains pour ses besoins, ceux-ci vivent dans une forme de bulle dorée, notamment au Mexique.
La parakinésie, au début à la mode (dans des show...), est devenue progressivement une forme de "magie" puis un objet de crainte (en raison de mauvaises blagues, débordements, etc...), accompagnant la réapparition de superstitions.
Les chasses aux sorcières sont de retour alors que la société a bénéficié paradoxalement de cette discipline. Les PK non affiliés au Hameçon (évalués à quelques millions au sein de l'humanité) se regroupent alors dans des ghettos et font l'objet d'un certain ostracisme ou se cachent.

*****

Il ressort des œuvres de l'auteur une ambiance assez douce de la vie notamment dans la scène d'exposition (et des images rémanentes d'illustrateurs des 50-60's tel que plan59, un bonheur à l'américaine de ces années), bientôt troublée par une atmosphère paranoïaque (le pouvoir est diffus et les ennemis peuvent être partout). Le roman date 1961 : faut-il y voir une réminiscence de la guerre froide et une résurgence dans la mémoire de l'auteur du Mac-Carthisme (50-54) ? Cela évoque aussi en tout cas certains anciens épisodes en noir et blanc de la 4e dimension. Et l'on ne renierait pas le centre de la série le Caméléon, organisation non gouvernementale mais détentrice d'un pouvoir certain.

Le roman est un roman du doute envers la croyance en la technologie et l'idée qu'elle pourrait résoudre tous nos problèmes actuels dans le futur. En ceci, l’œuvre conserve sa modernité par rapport au discours ambiant (à l'exception de quelques catastrophistes) de confiance en l'avenir (les sources d'énergies, le retraitement des déchets nucléaires, les maladies, etc...).

Simak observe la destruction progressive des liens traditionnels qui cimentaient la société  en raison des évolutions technologiques.

Si la Science, devenue autrefois "le héros culturel de l'humanité", descend de son piédestal, par quoi sera-t-elle remplacée ? Privé de celle-ci, l'Homme ne retournera-t-il pas dans une forme de moyen âge?

La foi (en Dieu) pourra-t-elle sauver l'Homme ? L'auteur n'a pas la réponse mais il met sur le chemin du héros (athée ou tout du moins agnostique) le père Flanagan, lui même en proie au doute, dans une époque sans foi malgré la résurgence de superstitions et de miracles.

Pour l'auteur, s'ouvrir à l'Autre (dans les étoiles - ou ici -) c'est prendre le risque de découvrir le mal (Finn) ou le bien absolu (Godfrey) mais à l'encontre de ces extrêmes et des réactions qu'ils engendrent, il oppose la rencontre entre Sheperd et une créature pétrie d'humanisme, une forme de troisième voie en quelque sorte.

Simak est ainsi un "pessimiste positif", mais ce qui reste troublant dans cette œuvre, plus sombre qu'elle ne pourrait apparaître d'un premier abord, c'est que l'auteur n'a à opposer aux dérives de l'Humanité et à l'échec de la croyance en la technologique qu'une "forme de magie" (le "PK").
D'autre part, sans dévoiler la fin de l'intrigue, celle-ci prend la forme d'une parabole religieuse dans laquelle Sheperd devient une sorte de Moïse, personnage sur lequel le "doigt de Dieu s'est posé" selon le père Flanagan, chargé de conduire certains sur la terre promise : Tout le monde n'est pas destiné à être sauvé.

*****

A noter que l’œuvre comporte quelques éléments très intéressants, éventuellement novateurs pour l'époque comme :
- la télépathie présentée dans le texte comme une description d'images visuelles riches de sens ;
- l'invention du dimensino, une salle d'immersion de réalité virtuelle interactive qui ne dit pas son nom ;
- une conception du voyage dans le temps particulière (le passé/l'avenir sont des dimensions "vides"), ce qui permet d'éviter les paradoxes temporels.

*****

Alors pour qui ? Les amateurs de l'auteur, les lecteurs des classiques de la SF...

2 commentaires:

  1. Hou un Simak que je ne connais pas, miam :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et un des meilleurs (opinion personnelle). Je ne sais pas s'il fait partie de la politique de ré-édition [ambitieuse] des éditions Lunes d'Encre.

      A mon sens, ce roman étant particulier, il pourrait être différemment apprécié, mais je serais curieux de connaître ton avis dessus (j'étais persuadé que tu l'avais déjà lu...)

      (Si tu ne le trouves pas, je pourrais te le passer si tu veux).

      Supprimer