vendredi 29 juin 2012

L'histrion d'Ayerdhal [maj2]



 L'Histrion (µ) - J'ai Lu SF (première édition 1993)

Quatrième de couverture : « Tous ceux qui le connaissaient évoquaient Genesis comme un ordinateur doué d'une conscience intelligente, mais les Taj Ramanes savaient que rien n'était plus inexact. (...) Genesis n'était pas une machine et encore moins un outil informatique, Genesis était vivant, c'était l'organisme le plus complexe de la galaxie. »
Dans cette galaxie grouillante d'Etats et de communautés aux intérêts si divergents, Genesis, la créature-monde, essaie de fédérer l'humanité sous la bannière de Daym. Pour seul outil, il dispose de l'Histrion, dont l'unique fonction est de jouer les trouble-fête. Et pour l'Histrion, il a choisi un/une sexomorphe, individualiste farouche, qui déteste le pouvoir et n'a pas été consulté(e) sur ce rôle qu'on veut lui voir tenir...

*****

La relecture de L'Histrion d'Ayerdhal est issue d'un commentaire sur un article consacré au roman dans le blog d'Anudar, Dunien* émérite. Anudar n'avait pas aimé l'ouvrage, lequel constitue -avec sa suite sexomorphoses - un bel hommage à Frank Herbert par certains emprunts formels. Intrigué par cet avis, je me suis replongé dans le roman.

Il ne s'agira que d'une supposition, mais trois points pourraient rebuter un lecteur standard :
- le caractère immature du héros ;
- l'hommage à Dune, qui pourrait dérouter;
- la densité des intrigues, du décors par rapport à la brièveté du roman (attention à ne pas perdre le fil).


Ainsi, s'il emprunte formellement des traits duniens, les enjeux de l’ouvrage me semblent différents et portent sur une réflexion relative aux systèmes politique (ie "le politique" ou "gouvernement de la citée") dans un contexte de désillusion par rapport à l'échec des idéologies de "changement du monde". Comment le changement est il alors encore possible ? Ayerdhal tente de répondre à cette question en imaginant un système de gouvernance original dans le cadre d'un roman SF et  en suivant le parcours d'Aimlin(e) et sa lente acquisition d'une certaine maturité après avoir surmonté ses désillusions face à son passé d'activiste étudiant**.

Le cadre en question détaille un univers complexe, riche et et cohérent, fait d'emprunts divers, certe, mais classiques, presque des passages obligés (tel que les ansibles, le voyage en hyper espace...)  et rempli d'acteurs intriguant pour le plus grand plaisir des lecteurs*** :

Le Daym, est une sorte "d'ONU du futur", organisation dont l'un des buts est  d'amener les différentes entités de l'espace humain à une table de négociation pour limiter leurs penchants destructeurs.
Le Daym est voulu en ce sens comme une structure de régulation,   chapeauté par Genesis et composé de treize entités disposant d'une voix chacune :
- Genesis, personnalité de la planète vivante et pensante (Ehn-Eval), génial machiavel,
- les Eliges, les fonctionnaires du Daym, basés sur Ehn-Eval,
- L'Empire, régime monarchique autoritaire (la plus vieille structure de l'espace humain),
- La Confédération, union démocratique tranquille à l'esprit de libéral socialisme sauvage
 - L'Eglise, affiliée à l'Empire,
- Les Scientes, disposant d'une technologie en avance sur les autres groupes et basés sur la planète Endrèbe;
- Les Nautes, nation nomade naviguant entre les étoiles
- Le Taj Rama, composé de femmes télépathes,
- Les Erudes, société anarchiste particulièrement douée dans les disciplines artistiques, politiques et psychologiques basée sur Sharentil
- Les Andres, androïdes émancipés des Scientes,
- Les marches, affiliées à l'Empire,
- Le Lansall, associé à la Confédération,
- l'Histrion, personnage clé du système.

Pour établir des décisions, il est nécessaire que le Daym soit au complet, cependant les divers groupes ont eu tendance jusqu'à présent à assassiner l'histrion pour bloquer le fonctionnement de cette structure... jusqu'à la nomination d'Aimlin(e) en tant que nouvel histrion, avec une particularité de taille, celui-ci est un sexomorphe... Et refuse d'en assumer la charge.

Ayerdhal nous dresse ainsi un portrait assez fin du pouvoir, lequel peut être de nature multiple dans ses composantes, concurrentes, opposées ou non, dépendantes ou non, poursuivant des finalités propres : pouvoir temporels nationaux interplanétaires (Empire, Confédération, Marches, Lansall), pouvoirs issus de la maîtrise d'un monopôle (Ex : Nautes, Taj Ramanes) et/ou de connaissances (Ex : Scientes pour la technologie, Taj ramanes pour la biologie et l'esprit humain...). L'attraction ou attirance (sexuelle) est également un moyen pour arriver à certaines fins (la sexomorphie du héros permet de mettre celle-ci en relief).

A la recherche d'un ascendant sur l'autre dans les structures de pouvoir où l'individu est oublié face aux intérêts généraux de groupe, l'auteur oppose une fonction, un grain de folie, libertaire, anarchiste; existant pour s'opposer à la raison du pouvoir et rappeler à l'autorité nos individualités : l'Histrion, ce bouffon politique, garantie de non stagnation.


A l'issue de cette relecture, j'apprécie toujours autant ce roman, dense pour la richesse de son univers et les réflexions qu'il amène et le conseillerais aux amateurs de livres univers - si le personnage principal ne les énerve pas.

Bon à quand la suite ?

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Note : mais comment a-t-on pu choisir une illustration de couverture aussi hideuse ?



(µ) acteur ambulant, mime (définition ancienne)
* en référence à l’œuvre "Dune" de Frank Herbert
** En ce sens, le roman est finalement moderne et partage des points communs avec certaines trajectoires de la jeunesse à gauche des années 70-90 :Des aspirations politiques, moteurs d'un sentiment d'indignation rendant le passage à l'acte nécessaire par la révolte, voir révolution. Avec l'urgence de l'action coexiste sans doute une certaine immaturité due à l'absence de responsabilité des conséquences possibles d'une révolte (la répression, les chaises musicales du pouvoir, etc...). Les lendemains sont ceux du désenchantement : le monde n'a pas évolué, les leaders des mouvements d'hier sont en tête de l’intelligentsia nouvelle... Mais on est quand même bien loin du "pathos militant" de Péché mortel, selon moi. Ici Ayerdhal est très inspiré.
*** il enthousiasme l'ancien rôliste pas totalement mort en moi sur les nombreuses possibilités d'interactions qui pourraient surgir dans le cadre d'intrigues bien menées.

Maj/update : 29-30/06/2012

7 commentaires:

  1. Chronique lue.

    D'une façon assez surprenante, on se rejoint dans l'analyse de la structure du roman. Je vois en effet bien le Daym comme une ONU du futur. Mais si la référence dunienne n'est pas pour me déplaire, je pense que sur ce point le Maître a trouvé plus innovant à travers son univers post-Tyran, où les différentes factions se partagent parfois la souveraineté sur plusieurs planètes.

    Quand au personnage choisi pour incarner l'Histrion, il me paraît si imbuvable que le livre m'en est devenu inlisible. C'est bien dommage mais... cette fois-ci, Ayerdhal ne m'a pas du tout parlé...

    P.S. : pitié, enlève le captcha de Blogger. Il est insupportable et je doute qu'il t'épargne tant de spams que ça.

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  2. Bonjour,

    Merci pour ton passage.

    Il est intéressant de voir les impressions de lecteurs parallèles même si elles ne se rejoignent pas toujours complètement.

    Captcha ? (ah, le système pour éviter des spams ?). Alala, je me fais encore "sermonner" pour les options sur les commentaires... Comme je ne mets pas trop le nez dedans les réglages, je ne savais même pas qu'il était en place. Je vais voir cela.

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  3. Le "test de reconnaissance de mots" se cachait dans l'option de "vérification des mots".

    Je croise les doigts pour que cela fonctionne...

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  4. Chronique intéressante ! Et c'est toujours intéressant d'avoir deux points de vue différents (celui d'Anudar et le tien).
    Je note ce roman, pour plus tard. ;)

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    1. Bonsoir,

      Merci pour ce commentaire.

      Croiser les chroniques permet de bien retrouver l'ambiance d'un roman au final. Sur celui-ci je crois qu'on se rejoint pas mal sur l'œuvre.

      Pour Ayerdhal, je n'ai pas tout aimé (notamment "Chroniques d'un rêve enclavé" que j'ai détesté).

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