lundi 6 février 2012

Repères sur la route de Roger Zelazny

Quatrième de couverture = Une route décrit le temps, du passé au futur. Les accès en sont soumis à des règles strictes et bizarres ; les sorties sont autant de voies divergentes où l'histoire peut se récrire et le paradoxe fleurir. Red Dorakeen, trafiquant d'armes, poursuivi à la fois par la police de la route et par les tueurs à gages, devra affronter tour à tour un moine défroqué, zen et meurtrier, un tyrannosaure-cyborg piloté par le marquis de Sade, un robot extra-terrestre déglingué abandonné par les siens... tandis que sur une voie parallèle son fils est parti à sa recherche avec pour seule arme un livre entre les pages duquel se cache une mémoire électronique-factotum. Mais au-dessus de la route plane l'ombre des dragons qui sont peut-être les maîtres du jeu...
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Edition originale publiée sous le titre " Roadmarks" en 1979.
Edition française traduite par Alain Dorémieux et publiée en 1981 (puis 1987) pour Denoël.
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A l'issue de la lecture des critiques, globalement déceptives*, du numéro spécial de Bifrost consacré au maître, il m'avait pris l'envie de revenir sur ses œuvres et formaliser un peu mes pensées à ce sujet. Ni une, ni deux, voici le retour de "je ressors des vieux bouquins de ma cave" avec "Repères sur la route". En remarque liminaire le quatrième de couverture "spoile"** quand même un max même si, eu égard à l'histoire, il peut apparaître assez nébuleux. Je conseillerai donc de commencer la lecture directement.

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Parallèles :
A l'instar d'Hokusai et ses 36 vues du Mont Fuji, Roger Zelazny reprenait certains thèmes de prédilection de ses précédents romans comme matière pour de futures œuvres. (1)

C'est un peu la sensation qui se dégage de ce roman et de quelques "points communs" qu'il partage avec la saga des princes d'Ambre - Corwin (publiée en 1970~1978).

Tout d'abord cette Route qui s'étend non pas sur les "dimensions parallèles" que constituent les ombres, mais sur les différentes époques de la terre : après tout, le temps est bien considéré comme une dimension.

Quelques extraits familiers évoquent ainsi un voyage en voiture à travers Ombre :
"Rabats-toi !" s'écria Leila.
Rand vira immédiatement à droite et freina. Le ciel subit une pulsation et passa à une aube couleur perle. [p8]


Reyd braqua vers le bords de la Route. Une fois de plus le ciel palpita : ombre et lumière. Quand son camion stoppa, un soleil matinal était en suspens au dessus de l'horizon à sa droite (...) [p18]


Ensuite le "motif" de la quête du père inconnu :  Rand part à la recherche d'un père parti avant sa naissance, Reyd Dorakeen. Or cet élément apparaît déjà, quoiqu'en filigrane, avec Merlin qui souhaite en savoir plus sur Corwin.

Sur le roman :
D'une certaine façon, le roman apparaît un peu expérimental en ce qu'il ne respecte pas totalement l'ordonnancement chronologique d'une histoire classique. Il peut ainsi apparaître comme "déstructuré". Cependant, cet ordonnancement des chapitres (numérotés en UN, DEUX) est là pour servir une histoire particulière se déroulant sur les autoroutes du temps...
L'auteur dresse par ailleurs un univers intéressant aux influences pulps et poétiques, avec des personnages hauts en couleur tel que le marquis de Sade, un spécialiste en arts martiaux, un cyborg, etc.. et des ordinateurs intelligents*** insérés dans la couverture de livres - de poésie de préférence -, ainsi des fleurs du mal détenu par Reyd...

Il retira un exemplaire des fleurs du mal de derrière le tableau de bord.
"Où est il allé ?" demanda la voix en provenance du livre.

... Ou de Feuilles d'herbes (2), possédé par Rand.
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De l'histoire :
Reyd parcourt la Route de haute en bas, du néolithique au S(iècle) 30, à la recherche d'une voie secondaire non signalée, ou avec le but d'en ouvrir une afin de trouver un pays qui possèderait "la présence" similaire à celle de ses souvenirs nébuleux. Mais à chaque fois il s'agit d'un échec.


Il tente ainsi de modifier légèrement certains embranchements afin de se rapprocher de son but :

"Tu crois toujours que les grecs devraient gagner la bataille de marathon et tu essaies de les aider."


Reyd est toutefois l'objet d'une "dizaine noir", c'est à dire que son adversaire pour attenter à sa vie dix fois. S'il survit, le commanditaire devra se retirer du jeu. Officialisée par le bureau des jeux, la police ne fera rien pour empêcher cela. Une police existe sur cette "Route" ? Eh oui, mais en nombre restreint - du S23 au S25.

Mais qu'est ce que la Route ?
La Route s'étend sur une éternité. Elle traverse le temps passé, le temps à venir, le temps qui pourrait avoir été et le temps qui pourrait être. [cf p108]

" Ne sais-tu pas que le temps est une super autoroute avec d'innombrables bretelles d'entré et sortie, et aussi des routes principales et secondaires, que les cartes ne cessent de changer, que très peu de gens seulement connaissent les moyens de trouver les rampes d'accès ?" [P56]

Les routes transversales ont tendance à revenir à l'état de désert si personne n'y traverse [p57]. On y parle le dialecte, un jargon commercial, synthèse linguistique de diverses époques.


Seuls certains peuvent la traverser :
Le sang du voyageur permet de la traverser. Ainsi, une fois que l'on a voyagé sur la route, il se produit un changement physique dans la personne, ce qui lui permet de la retrouver et de recommencer [cf p132 ]


"Il n'y a que certaines gens et certaines machines qui peuvent la trouver et y voyager. La Route est quelque chose d'organique. C'est là une part de sa nature et de celle de ses voyageurs." [p151]

 
Tout cela ne serait-il au final qu'une histoire de ...? 
[spoiler - passez votre souris sur les caractères en blanc]
Au final, ne serait-ce qu'une histoire de dragons Bel'kwiniths ? La route a été composée, compilée comme un livre - et non créée - : "C'est un jouet. C'est un repère, comme des marques tracées sur une carte. C'est amusant d'observer les rares individus qui l'ont découverte ramper de probabilités en probabilités."

Les dragons naissent vieux et doivent découvrir leur jeunesse sur la route pour atteindre leur maturité. Tous ceux qui sont capable de la parcourir ont de près ou de loin un lien héréditaire avec leur race.

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Au final, nous avons un roman assez court, presque une esquisse, qui laisse la part belle à une certaine poésie. Son côté pulp n'est ni caricatural ni excessif, car l'auteur procédait toujours par touche et préférait la suggestion à la démonstration. Reste une déception, l'idée que l'univers aurait pu être exploré un peu plus profondément, mais nous n'allons pas faire la fine bouche. Un bon Zelazny en perspective !



A conseiller pour les amateurs de l'univers de l'auteur.


Avis de  : Lorhkan ;


(1) cf entretien de Roger Zelazny paru dans le numéro de Bifrost consacré à l'auteur :
"Ce qu'il voulait dire [à propos de James Blish], bien entendu, c'est qu'il cherchait dans ses œuvres précédentes des pistes non explorées, qu'il comptait sur la survivance de ses préoccupations et le renouvellement de ses vieilles passions pour générer la naissance de nouvelles idées." [constructing a science fiction novel (1984)]
(2) Leaves of grass - Walt whitman

* A l'issue de la rédaction de la première version de cet article, j'ai rejeté un coup d’œil sur le n°55 de de Bifrost et il faut toutefois noter la critique positive de Mathias Smolarz au sujet de Repères sur la route.
** petit anglicisme pour faire référence à marguerite qui s'effeuille bien avant que ces messieurs n'aient inséré leurs billets...
*** fabriquées sur le satellite Tosa-7 du Mitsui-Zaibatsu, quand même...

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