dimanche 17 juillet 2011

Cablé +


Mot de l'éditeur = Etes-vous câblé ? Comme Cow-boy, l'ancien pilote de chasse aux yeux sensibles aux infrarouges ; comme Sara toujours prête à se débarrasser de ses ennemis en utilisant le cybercobra lové dans sa gorge ; comme Reno, décédé mais toujours vivant dans l'Interface ? Si ce n'est pas le cas, comment espérez-vous survivre à la menace que représentent les orbitaux ? Le cycle de Câblé - deux romans, deux longues nouvelles, réunis ici sous le titre Câblé + - est l'une des œuvres majeures du cyberpunk, un western orbital et informatique dénué de temps morts, écrit quinze ans avant la trilogie Matrix.

L'ouvrage est une compilation de deux romans (Cablé & Le souffle du cyclone) et deux nouvelles (perspective érogène & solip système), censées se passer dans le "même univers" de l'auteur. Seule la nouvelle perspective érogène est inédite. J'avais déjà lu le premier roman cablé à sa sortie française il y a des années mais ne connaissais pas les autres œuvres en question.

# Cablé (1986)

L'histoire suit le destin de deux personnages Cowboy (pilote interfacé) et Sarah (mercenaire) dans une Amérique futuriste en déliquescence à la suite de la défaite de la Terre contre les orbitaux, anciennes colonies spatiales devenues indépendantes. Celles-ci sont composées de "blocs" - les inévitables "corpos" -, lesquelles ont historiquement déplacé leurs sièges (et donc centres de pouvoir) dans l'espace, à l'abri derrière une forme d'extra-territorialité. Elles sont réunies autour d'un "soviet orbital" qui semble assurer les règles du jeu des corporations.

A la lecture de l'ouvrage, je ne pouvais m'empêcher de comparer l'auteur avec le "père" du genre, William Gibson :

Si l'auteur de Neuromancien, considéré comme l'inventeur du cyberpunk, est un écrivain inventif, il pèche toutefois par un style et une intrigue portés vers le "flou artistique".

Force est de reconnaitre qu'il en va tout autrement de Walter John Williams qui, tout en ayant intégrés les constituants du cyberpunk, possède un certain style et une maîtrise de l'intrigue bien supérieure.

Sur la forme du roman, l'auteur alterne les temps du passé pour les souvenirs avec le présent pour la narration actuelle avec une certaine facilité qui sert le texte et dévoile de belles descriptions de personnages crédibles et profonds, même s'ils se fondent dans le moule archétypal du genre (1).

Quant au fond, la quatrième de couverture fait référence à une sorte de western. Celle-ci apparaît dans la première partie du roman, mais les influences qui viennent à l'esprit se porteraient plutôt vers la  tradition du road movie/mythe de la route. On pense ainsi aux culbuteurs de l'enfer de Roger Zelazny par exemple. La seconde partie de l'histoire est plus classique et emprunte au roman noir. Le roman s'achève avec un côté "étoffe des héros" assez plaisant.

Dans cablé, chaque personnage est à la recherche de sa liberté dans un monde "marchandisé" à outrance : Cowboy se sent libéré dans la vitesse et la conduite, Sarah tente d'échapper à la rue pour trouver une forme de liberté (peut-être en orbite ?). Ils rencontrent notamment un groupe de bikers nihilistes qui possèdent leur propre définition de la chose.

L'intrigue et l'univers sont intéressants et clairs. Tout au plus pourrait-on reprocher à l'auteur de ne pas avoir approfondi la naissance des blocs orbitaux en tant que nations : le processus de l'indépendance d'une fédération de conglomérats, déconnectée de la Terre, qui ensuite déclare la guerre à la terre (et n'hésite pas à envoyer des astéroïdes sur la planète terre) apparaît un peu artificiel.

Cependant les amateurs exigeants de romans de cyberpunks et de personnages à la psychologie travaillée trouveront leurs compte dans cette excellente lecture.

Parallèle : L'opposition entre la terre et ses ex colonies spatiales à présent indépendantes, évoque la série d'animation Fantôme 2040.

# perspective érogène (1991)

Si le thème de cette nouvelle n'est pas la liberté, elle en constitue une sorte de prolongement : En parlant de tatouages, un ami (ancien "huitard") disait qu'aujourd'hui la dernière liberté était de pouvoir altérer le corps qui nous a été donné à la naissance. Le cyberpunk va plus loin dans la réflexion et imagine un futur où les altérations corporelles sont courantes et ont pour but l'amélioration des capacités humaines ou la modification de son apparence par des implants. La liberté de modifier son corps devient alors totale. Sauf que ce corps devient alors une zone "marchandisable" et les implants qu'il comporte représentent des marques.

La nouvelle semble prendre cadre le même univers, même si elle n'est pas explicitement raccrochée à lui. Le docteur Talbot est un chirurgien esthétique ("remodeleur corporel"),qui prépare dans une simulation de réalité virtuelle la prochaine opération de la plus grande vedette du moment : Babette. Les simulations d'opérations sur des stars suscitant la convoitise de certaines personnes, l'opération devra se faire dans le plus grand secret.

Le sujet, son traitement percutant (1991 !) et la chute surprenante en font une nouvelle bien sentie et qui n'a pas pris une ride (2)...

# Solip : system (1989)

La nouvelle suivante revient sur un autre cliché cyberpunk, celui de l'enregistrement des personnalités informatiques (ici dans un cristal liquide), et touche ainsi encore la réflexion sur la liberté de l'esprit, lequel peut être enregistré, effacé, modifié à l'instar d'un programme informatique.

Attention spoiler : A la fin du roman cablé, l'Esprit noir est utilisé pour remplacer la personnalité de roon, nouveau maitre de Tempel pharmaceutic, par celle de Réno, esprit informatique prisonnier du réseau. La nouvelle solip system revient sur son devenir et ses manœuvres pour libérer la terre des orbitaux.  L'auteur soigne toujours ses personnages et le lecteur ressent bien le désarroi de Réno qui se demande si le transfert de personnalité n'a pas été complet et si il reste un peu de roon en lui. Cependant, passées les questions existentielles et un début de description des sociétés orbitales, l'on reste un peu sur sa faim (3) quant à l'intrigue et son déroulé inexorable.

Parallèle : la série Takeshi Kovac de Richard Morgan (et ses piles corticales & enveloppes).

# Le souffle du cyclone (1987)

Le mot de l'éditeur = Steward est un Bêta, un clone.
Mais avec un trou de mémoire de quinze ans parce que son Alpha n'a jamais pu enregistrer une mise à jour de ses souvenirs. Et en quinze ans, il s'en est passé des choses : la polispatio qui l'avait engagé comme mercenaire s'est effondrée ; les colonies de la sphère humaine se sont entre-déchirées dans une guerre meurtrière pour s'approprier les richesses abandonnées par une race extraterrestre inconnue ; ces extra terrestres sont revenus à l'improviste, engendrant chez certains humains une adoration étrange et suspecte ; et surtout : Steward I a été assassiné.
Steward II découvre alors qu'il est au centre d'une intrigue complexe, l'enjeu, et peut-être le pion, de rivalités économiques et politiques entre colonies orbitales et policorpos de ce futur pas si lointain où les multinationales sont devenues des Etats.

*****

Le créateur conçu le souffle du cyclone quand l'éditeur lui demanda s'il pouvait en faire une suite à cablé car les suites se vendent plus.

Et le créateur vit que cela était bon. Et beau moralement. 

Et le cyclone souffla à la suite du cable...

*****

Ce roman, raccroché à l'univers de cablé, se déroule quelques générations plus tard. Le héros d'origine française... boit de la genièvre, est marseillais et accessoirement ancien membre d'un gang puis d'une troupe de mercenaires. Enfin son original -l'alpha-, pas le béta. Le béta est une "assurance", un clone qui disposera de la mémoire totale de l'original jusqu'au dernier enregistrement. Les personnages sont profonds et l'univers dévoilé complexe et intéressant. Que dire de plus que la quatrième de couverture ? Qu'il existe des extra-terrestres, "les puissances", qui ressemblent à des centaures avec une tête de baudruche ?

L’œuvre est intéressante pour l'éclairage qu'elle apporte sur les conséquences psychologiques que subissent ces doubles disposant d'une mémoire, mais distincts des originaux. En un sens, leur passé de leur appartient pas : ils sont liés par la mémoire de leur original et doivent sans doute "tuer le père" pour pouvoir devenir libres, et donc maîtres de leurs destin. C'est un niveau de lecture qui peut apparaître dans ce roman.

Parallèle : Anges déchus, le volume 2 de la série Takeshi Kovac de Richard Morgan (pour la récupération des  objets extra-terrestre)

*****

Au final nous nous retrouvons avec un recueil de qualité*, et qui conserve sa cohérence,  même si les œuvres qui le composent ne sont pas toutes explicitement dans le même univers. Il offrira ainsi au lecteur un panel complet de l'évolution du genre cyberpunk (4) servi par une belle plume. Que demande de plus le peuple ?

*****
(1) "le fou de vitesse" (panzerboy) et la mercenaire, tous deux "cablés", c'est à dire disposant de prothèses cybernétiques.
(2) ne me jetez pas la pierre... 
(3) un soupçon d'ennui ?
(4) de ses débuts à sa fin, par l'intégration des éléments qui le constituent dans la SF en tant que telle dans le dernier roman, nommé "post cyberpunk" par certains.
* malgré un bémol pour solip système et une intrigue un peu en deçà pour le souffle du cyclone.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire