Editions l'Atalante & Leha
Si mon rapport avec Dune de Franck Herbert n'est pas aussi intense que certains lecteurs, je me souviens avoir dévoré toute la série iconique de l'auteur, soupçonnant qu'il y avait beaucoup de pistes à explorer derrière ce planet opera, classique de la SF.
La sortie repoussée de la nouvelle adaptation de Dune au cinéma, réalisée par Denis Villeneuve, aura été l'occasion pour plusieurs éditeurs de revenir sur le sujet : "Dune, exploration scientifique et culturelle d'une planète-univers", le numéro spéciale de Rocky rama et le Mook, objet de cette chronique.
Mais un mot sur Denis Villeneuve : Ayant adoré Contact et apprécié certains aspects de Blade Runner 2049 (à l'exception du scénario, moins satisfaisant) il me semble qu'avec un réalisateur aussi méticuleux et excellent technicien que lui, produira un résultat honorable. C'est au moins ce que je puis espérer pour le futur.
Le Mook de Dune, en cinq chapitres de plus de 250 pages, aborde avec plusieurs grands axes un univers complexe et multiforme : une mise en lumière de son auteur et de la réception de son œuvre ; l'univers de Dune ; les personnages et factions qui le composent , les adaptations de l'œuvre et enfin des réflexions et analyses de certains de ses aspects.
Riche en illustrations, photos et articles fouillées sur un format A4 (et avec un marque page dédié), cet objet hybride saura sans doute séduire les amateurs et collectionneurs . L'ouvrage prends d'ailleurs parfois des accents de source books*, idéaux pour des amateurs de jeux de rôle... Si cela se trouve il y en aura un dans les tuyaux dans le futur...
Le premier enseignement de l'ouvrage est de nous rappeler qu'au delà de son caractère de planet opera, Dune déroule une métaphore de philosophie politique dont le message est d'alerter sur le danger des leaders charismatiques, prophètes: "Les super-héros sont désastreux pour le genre humain. Même si un vrai héros apparaît, des mortels faillibles finissent par s'emparer de la structure de pouvoir qui ne peut manquer de surgir autour d'un chef".
Ce message se déroule ainsi dans un dyptique comportant Dune et Le messie de dune (légèrement évoqué dans le Mook)
L'œuvre brasse ensuite par couches entremêlées des strates écologiques, politiques, économiques, voir métaphysiques , bref de nombreuses thématiques, soulevées astucieusement.
L'objet du Mook est ainsi de présenter l'auteur et la genèse de l'œuvre, ses personnages au travers d'un prisme tragique antique ou shakespearien, d'analyser les nombreuses thématiques qui traversent Dune.
Rien n'est laissé au hasard, de la linguistique (à l'instar de Muad'Dib provenant de Mu'adib en Arabe, précepteur, ou "Bene Gesserit" , qui se serait bien comporté en latin), ou du poids de l'économie sur le politique (avec le rôle central de l'épice), de la faisabilité scientifique de certaines idées (comme le distille), de l'analyse stratégique des batailles dans Dune.
La force du romancier est également de puiser son inspiration dans des œuvres classiques empruntes de tragédie. Par plusieurs éléments de fiction qui définissent son univers (l'épice, rare, qui permet aux pilotes de trouver les meilleurs chemins à travers la galaxie ; les boucliers énergétiques qui neutralisent les combats à distance) recrée un environnement qui renforce ces traits de rapprochements avec le monde antique et pourrait s'approcher d'un roman de science fantasy, avec une structure qui rappelle les théories de Campbell. Tout ceci sera battu en brèche avec Le messie de Dune, mais ceci est une autre histoire...
Avec un éventail très large de thématiques, le Mook se penche sur la question difficile des adaptations qu'elles soient en films avec le projet avorté de Jodorowsky (et l'impact postérieur dans la SF américaine de tout le travail préparatoire) et le résultat décevant de David Lynch (qui ne pourra bénéficier du montage désiré), ou bien en jeux vidéos ou séries télés.
Quelques mots enfin sur une thématique parmi d'autres et très actuelles, qui stimulent la réflexion : chez Franck Herbert, la démocratie et l'écologie politique seraient en forte tension, et peut-être irréconciliables. L'écologie est ainsi fondée sur une éthique de la responsabilité (des conséquences de ses actions), qui fait de la liberté un enjeu secondaire... La préservation d'un écosystème s'avère un défi parce qu'elle dépend d'une dynamique jamais totalement maitrisée ni exempte de hasard entre les sociétés humaines et leur milieu.
En conclusion, que dire de ce Mook si ce n'est qu'il m'a globalement enchanté et saura séduire les amateurs de l'œuvre de Dune, cherchant un ouvrage regroupant analyse, synthèses, dans la mesure où ils ne seraient pas des spécialistes de Franck Herbert. Ce lecteur, dont je fais partie, pourra ainsi approfondir, enrichir sa connaissance du roman, de ses enjeux, et répondre à quelques questionnements dont il n'avait pas encore trouvé réponse.
* A l'exception peut-être d'une description du Bene Tlelax comme faction, mais qui apparaît peut-être surtout dans les romans postérieurs....
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